Django Reinhardt : retrouver le chemin de la musique

Django Reinhardt est aujourd’hui une légende du jazz, et a même donné naissance à son propre style de jazz : le jazz manouche. Il fait partie des guitaristes ayant impacté le plus fortement l’histoire du jazz. Cependant, sa route vers le succès ne fut pas évidente ; longue et semée d’embûches, il aurait pu abandonner à tout moment. Il a néanmoins toujours retrouvé le chemin vers la musique. Mettons en lumière ce parcours exceptionnel…

LA MUSIQUE, LA VOIE DE DJANGO REINHARDT

De son vrai nom Jean Reinhardt, Django est né en Belgique en 1910 dans une famille Sinté, un groupe ethnique rom des pays d’Europe de l’Ouest. Sa famille est originaire d’Alsace. Ainsi, pour échapper à la Première Guerre mondiale et à la conscription, sa famille est constamment sur les routes : France, Italie, Algérie … Avec sa mère, il finit par se fixer à Paris près de la porte de Choisy. 

Il y vit dans une roulotte, entouré d’une communauté soudée et musicienne dans l’âme. De son côté, il commence à faire de la musique en jouant du violon. Mais lorsqu’il découvre le banjo-guitare de son oncle vers 12 ans – c’est une véritable révélation. Il apprend en autodidacte. Certes, il ne sait pas lire la musique, mais l’imitation des musiciens qui l’entourent est le meilleur des apprentissages. 

Ne sachant ni lire ni écrire, de nombreuses portes lui sont fermées. La réussite de Django n’est donc pas assurée ! C’est la musique qui est sa solution. Le jeune virtuose gagne peu à peu en réputation ; il enregistre son propre disque, joue dans les cabarets et dans les demeures des gens aisés… C’est une vie remplie de réussites qui s’ouvre à lui. Son analphabétisme lui joue pourtant des tours : alors qu’il publie son premier disque en 1928, il est écrit sur la pochette qu’il s’appelle “Jiango Renard”. 

L’ACCIDENT DE ROULOTTE

La même année cependant, alors que la vie commence à lui sourire définitivement et qu’il se voit proposer de beaux projets, il est touché par un terrible accident. Le jeune Django est victime d’un incendie de roulotte : les fleurs en celluloïd que sa compagne vend, très inflammables, prennent feu et réduisent l’habitation en fumée. Le musicien est sérieusement atteint à la jambe droite et à la main gauche. Il a conservé tous ses doigts, mais ne peut plus en bouger certains, qui demeurent perpétuellement cripés.

Après 18 mois de convalescence à l’hôpital, tout semble fini pour la carrière du musicien : selon les médecins, les séquelles l'empêchent de jouer de nouveau du banjo. Pour Django, qui avait trouvé là sa passion, cela aurait pu être la fin d’une vie qui lui offrait tous les succès. 

LE RETOUR VERS LA MUSIQUE

Pourtant, Django travaille d’arrache-pied pour retrouver l’ivresse musicale. On lui apporte une guitare pour qu’il puisse s'entraîner de nouveau à la musique. À force d’entraînement, il retrouve une certaine dextérité. Contre toute attente, le musicien réussit à en jouer grâce à une nouvelle technique, adaptée à son handicap. Il n’emploie que les deux doigts sains et le pouce de sa main gauche.Il trouve là un nouvel instrument, qui sera celui avec lequel il deviendra célèbre. 

Historiquement, la période est idéale. La chance est au rendez-vous, car la guitare vit à ce moment-là un véritable essor : c’est la décennie du jazz de Duke Ellington, de Louis Armstrong etc. Le jazz se développe de plus en plus, et même en Europe. 

Malgré son handicap, il réussit à se faire une place parmi les grands du jazz, grâce à sa maîtrise à toute épreuve. Il ouvre le Quintette du Hot Club de France , où il popularise le jazz manouche. Ce style est à la fois influencé par le jazz et le swing américain, la chanson française des bals “musette”, ainsi que par les musiques gitanes et d’Europe centrale. 

LA RÉUSSITE… TOUJOURS INCERTAINE

La vie du musicien n’est pourtant pas exempte de difficultés. 

Sa communauté, les Sinté, est opprimée. Pendant la deuxième guerre mondiale, il compose “Requiem à mes frères tsiganes” qu’il peut enfin jouer après l’occupation. Ce requiem est dédié aux victimes du génocide tsigane, qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts. Le guitariste demeure encore aujourd'hui un symbole pour la communauté Tsigane. 

Se posent également des problématiques professionnelles. La tournée américaine qu’il effectue avec le Quintette du Hot Club de France est en demi-teinte. S’il peut enfin rencontrer son idole Duke Ellington, le succès est assez mitigé. À la fin des années 40, il doit également se réinventer pour ne pas se laisser dépasser par la nouvelle génération. Les musiciens français sont en effet très influencés par le bepop - il se doit de l’intégrer, de redoubler de dextérité et d’excellence pour prouver qu’il est encore à la page. 

LA POSTÉRITÉ

Le musicien meurt chez lui à l’âge de 43 ans. Il laisse une trace indélébile sur l’histoire du jazz,et inspirera quantité d’artistes après lui - Jimi Hendrix aurait nommé son avant dernier groupe Band of Gypsys en référence à Reinhardt. 

On peut aussi parler de l’exemple d’Anthony Franck Iommi, qui a cofondé le groupe de métal pionnier “Black Sabbath”.Le guitariste a également subi un accident à la main à 17 ans et ne pensait plus pouvoir jouer, ayant plusieurs phalanges sectionnées. C’est en entendant parler de Django qu’il reprend foi en sa capacité à faire de la guitare et qu’il peut reprendre sa carrière, en trouvant une solution pour pallier son handicap. Ce guitariste a également contribué à créer un nouveau genre musical. 

Ainsi, de la contrainte est née une solution innovante. Aujourd’hui encore, certains solos de Django sont inimitables car les joueurs ne peuvent pas imiter la particularité de ses doigts.

L'histoire d'Anthony Franck Iommi (vidéo)

DJANGO, MODÈLE DE RÉSILIENCE ET D’AMOUR POUR LA MUSIQUE

Ainsi, de la paralysie de Django est née une nouvelle technique musicale. Aujourd’hui encore, certains solos de Django sont inimitables car les joueurs ne peuvent pas imiter la particularité de ses doigts. Django a réussi à faire de son handicap son unicité et sa force. 

Surtout, par la musique, il a su surmonter différents obstacles. Grâce à sa force de caractère, il a su dépasser les limites physiques que lui avaient imposées son handicap. 

Mais son impact fut également sociétal. Engagé pour partager sa culture, il a développé le jazz manouche en Europe, en réussissant à allier son amour pour le jazz et pour sa musique traditionnelle. Enfin, par sa créativité et son talent, il a également pu faire parler des traumatismes et des persécutions qu’avaient vécu sa communauté. Par son art, il a contribué à lutter contre la discrimination et l’exclusion.

La musique fut un médium pour permettre à Django Reinhardt de s’imposer comme un artiste de talent en affirmant toutes ses particularités.